Au-delà du brainstorm

La session d’idéation de type brainstorm est facile à relier aux sessions d’improvisation artistiques collectives. Elle est la pratique organisationnelle qui s’en rapproche le plus (à part peut-être la discussion informelle de couloir?) D’autres idées de l’improvisation peuvent être adoptées en organisation pour influencer la créativité des personnes en faisant partie. Dans ce court texte, je proposerai quelques-unes de celles-ci. Plusieurs d’entre elles proviennent du livre Indiscipline! de Myriam Suchet que je ne pourrais plus recommander. Sans s’intéresser directement à l’improvisation, elle fait des liens nécessaires entre la création artistique et la recherche scientifique. Elle propose un décloisonnement radical des « disciplines ». C’est très rafraichissant, de forme comme de fond.

Idée 1 : Des changements de culture, c’est difficile. Mais probablement que l’effort le plus durable et ayant le plus d’impact passe par là. Une culture où l’erreur est plus que tolérée, où l’essai est valorisé est sans doute le premier pont vers l’émergence d’idées « Outside of the box ». On se souvient du premier Tedx que Proffesseur Ballofet nous a fait écouter.

Idée 2 : L’interrelation des membres de l’organisation. Les différentes équipes/personnes de l’organisation savent-elles vraiment à quoi les autres réfléchissent à longueur de journées? Et si on se faisait une rencontre de tout le monde. Où chacun inscrit son champ d’intérêt (ou d’expertise, ou sa recherche en cours) sur un bout de papier, puis on s’amuse à faire des constellations. Des amas de sujets ayant des affinités (ou des oppositions). Cet exercice pourrait entrainer un renouveau des échanges. Dans une équipe d’impro dramatique, on connait les forces et faiblesses de chacun, leurs p’tits talents spéciaux qui pourraient servir, leurs intérêts. Y’a pas de cachette.

Idée 3 : Avoir le temps. Relié au changement de culture (car la vitesse et l’instantané sont bel et bien des éléments culturels…). Il faudra s’assurer d’avoir le temps de l’innovation. Avoir le temps de refaire une activité. De repasser une deuxième et une troisième fois sur une idée. D’échanger à nouveau. De multiplier les rencontres non-décisionnelles. Le cerveau de chacun continue à travailler, dans l’ombre, entre celles-ci. En impro musicale on le sait, les meilleurs idées ne viennent jamais au début du solo… Il faut le laisser respirer. Il faut laisser l’improvisateur essayer, construire, déconstruire. Si ça vous le dit, cette improvisation de 25 minutes est splendide Et elle vous fera connaitre Claude Ranger, batteur de jazz québécois incroyable et disparu.

Idée 4 : Être doux entre nous. Claude Ranger justement, était connu pour son caractère intransigeant. Si la musique ne lui plaisait pas, il pouvait descendre de scène, tout simplement. Les années ont passé, et il s’est tourné vers un rôle de mentor ; il construisait ses groupes avec des musiciens en début de carrière. Ceux-ci le disent tous ; il était attentioné, il te faisait sentir bien et bon. Il soulignait chaque bon coup (même en show) de ses jeunes collègues par un gros « Yeah » bien senti. Il se souciait d’eux, prenait le temps de s’informer de leur vie, de leurs amours. Et s’il se laissait aller à de la colère à l’occasion, il prenait la peine de s’excuser par la suite. Je croirais que cette approche permettait à ses musiciens de laisser libre cours à leur créativité…

Idée 5 : Être modeste. Combien de grandes idées ont déjà été « eue ». Prendre le temps de chercher dans le passé et autour de nous avant de tenter d’inventer quoi que ce soit. Peut-être une idée a-t-elle déjà été énoncée et ne demande qu’un appui pour être explorée davantage? Ainsi : écouter ceux qui ont des voix moins fortes / ébranler nos certitudes / accepter nos limites / se mettre l’égo en laisse. Ça passe aussi par remettre en cause nos patterns et nos réflexes. Faire du travail sur soi.

Idée 6 : Montrer ce sur quoi on travaille. En lien avec l’activité des bouts de papier, je propose ; un poster sur la porte de son bureau qui présente ce sur quoi on se penche. Les grandes lignes, mais aussi les culs-de-sac, les eurekas, les peut-être. Et espérer que les membres de l’organisation ont le temps de s’y arrêter. Durant des périodes fastes du jazz, on tenait des workshops (des rassemblements de sous-sols plus ou moins miteux) où on présentait et explorait (sans publics) des idées, des théories, nos récentes découvertes, des nouvelles techniques, nos difficultés, etc.

Idée 7 : Arrêter le charabia. En lien avec la précédente idée, dans le but de créer des canaux de communications entre les gens / les équipes : éviter les éléments de métalangage que ne comprennent pas tout le monde (ou prenez le temps de les expliquer). Acronymes, codes, lexique particuliers… à éviter. Pensez-vous que le batteur et le bassiste se parle en code pendant une improvisation, pour être certains que le saxophoniste ne puissent saisir? Non. Au contraire, des symboles universels sont utilisés pour faciliter la communication. Lorsque le soliste d’un combo jazz touche sa tête durant son improvisation, par exemple, c’est pour indiquer qu’on sort du solo pour retourner au « head » (le thème principal de la pièce).

Myriam Suchet dans son livre « Indiscipline! » élabore également sur l’idée de la recherche-création. Ce vocable, utilisé en art, suppose que dans la création, il y a de la recherche. Ainsi un artiste en processus de recherche-création… crée et par le fait-même recherche. Elle propose que dans le monde académique (et j’ajouterais dans n’importe quelle organisation) on a tendance à trop vouloir séparer la recherche de l’action, la pensée de la création. Alors que dans le faire, la pensée est en marche! Si l’auteure en fait un des ancrages de sa méthode qu’elle nomme Indiscipline, j’ajouterais que c’est le fondement de l’idée d’improvisation : le processus de création d’un objet où la pensée est conjointe à l’action.

Vous souvenez-vous de ma proposition de définition, au premier billet? L’improvisation c’est le processus de création d’un objet où la planification et la conception sont réalisées conjointement à la production.

Podcast documentaire sur l'incroyable Claude Ranger :